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« Ce que font la Chine et la Russie n’a pas pour but d’attaquer le dollar américain pour le détruire. Il s’agit plutôt de créer une monnaie de réserve alternative indépendante pour les autres nations qui veulent se protéger des attaques financières de plus en plus fréquentes de la part du Trésor US, des banques et des fonds d’investissement de Wall Street. »

Par F. William Engdahl – Le 20 octobre 2017 – Source Russia Insider

La Banque populaire de Chine vient d’annoncer un système de paiement contre paiement (PVP) pour les transactions en yuan chinois et en rouble russe. L’objectif déclaré est de réduire les risques de change dans leur commerce.


Le seul risque concevable proviendrait du dollar américain et des actes potentiels de guerre financière du Trésor américain contre le commerce russo-chinois qui devient très important en volume et en valeur. En décembre, il devrait atteindre 80 milliards de dollars, soit une augmentation de 30% par rapport à 2016. Et il y a plus, dans cette décision, qu’une évolution technique apparente de la Chine et de la Russie.

L’annonce officielle, affichée sur le site Web du Commerce extérieur de la Chine (CFETS), ajoute une note extrêmement importante précisant que le CFETS prévoit d’introduire un système similaire pour toutes les devises des pays concernés par l’initiative chinoise des Routes de la soie.

Cela confirme ce que j’évoquais dans un article publié en avril 2016, à savoir que le grand dessein derrière l’initiative des Routes de la soie, Belt and Road Initiative (BRI), a une composante intégralement basée sur une devise, attachée à l’or, qui pourrait changer l’équilibre global des forces en faveur des nations de l’Eurasie, depuis la Russie et les pays de l’Union économique eurasienne, jusqu’à la Chine, à travers toute l’Asie.

Appelée précédemment la Nouvelle route économique de la soie, Belt and Road Initiative BRI, est un vaste réseau de liaisons ferroviaires à grande vitesse qui sillonnent les pays d’Eurasie, y compris l’Asie centrale, la Mongolie, le Pakistan, le Kazakhstan et bien sûr la Fédération de Russie, s’étendant jusqu’à l’Iran, potentiellement jusqu’à la Turquie et à l’Afrique de l’Est. Au total, 67 pays participent actuellement, ou ont demandé à participer, au projet global. La banque HSBC estime que le projet d’infrastructure BRI, qui englobe aujourd’hui un tiers du PIB mondial, générera annuellement 2500 milliards de dollars de nouveaux échanges. C’est une infrastructure de premier ordre qui va changer la donne.

La construction d’une monnaie de réserve en dollars

Les présentations académiques de la théorie de la monnaie et de la théorie de la monnaie de réserve ont tendance à être ennuyeuses, en tous cas au-delà de ma patience. Ce règlement en monnaie directe [sans intermédiaire] entre la Chine et la Russie est l’un des développements les plus dynamiques de nature à modifier la donne depuis que le Trésor de Washington et les banques de Wall Street ont mis au point le système du dollar américain à Bretton Woods en 1944.

Il ne s’agit pas de réduire les risques de change entre la Russie et la Chine. Leur commerce en devises propres, en contournant le dollar, est déjà significatif depuis que les États-Unis ont sanctionné la Russie en 2014 – une décision très stupide de la part du Trésor US sous administration Obama. Il s’agit de créer une vaste nouvelle zone alternative de monnaie de réserve ou des zones indépendantes du dollar.

La domination du siècle américain, que l’éditeur de Time-Life, Henry Luce, proclama en 1941, a vu le jour à la fin de la guerre. En 1945, alors que les bombes cessaient de tomber sur l’Europe et le Japon, le président Harry Truman a fait comprendre clairement qu’il n’y avait plus de place pour un Empire britannique rival, annulant les crédits prêt-bail américains, et exigeant qu’un Royaume-Uni en faillite rembourse ses dettes de guerre, et, de plus, réduise drastiquement le commerce mondial libellé en livre sterling qui représentait, à cette époque, encore 50% du commerce mondial. Les Britanniques avaient fondé leurs espoirs de reconstruire leur empire sur le Commonwealth et sa zone de commerce privilégié en livre sterling.

Pour Washington et Wall Street après 1945, il n’y avait place que pour une seule puissance monétaire dominante, les États-Unis. La Grande-Bretagne fut obligée d’avaler sa grande fierté arrogante et de se tourner vers le Fonds monétaire international nouvellement créé et, étape par étape, de démanteler les colonies de l’Empire britannique, en commençant par l’Inde, pour des raisons financières. Cela a ouvert la porte au dollar dans l’économie mondiale, en dehors des pays communistes. Depuis 1945, le pouvoir des États-Unis, en tant que superpuissance mondiale repose sur deux piliers : l’armée la plus puissante et le dollar comme monnaie de réserve mondiale incontestée permettant à Washington de contrôler l’économie mondiale.

En 1944, la Réserve fédérale détenait plus de 70% des réserves mondiales d’or. Toutes les autres devises ont été indexées sur le dollar. Le dollar seul était fixé à l’or. Dans les années 1950, le monde d’après-guerre avait désespérément besoin de dollars pour financer sa reconstruction. Le dollar a commencé son ascension comme monnaie de réserve, ou de référence, utilisée par les banques centrales, aidé en cela par le fait que les pays producteurs de pétrole de l’OPEC se sont mis d’accord pour vendre leur marchandise en dollars US. L’essentiel du commerce mondial été fait en dollar.

Nixon et la grande inflation du dollar

Selon les accords de Bretton Woods, la Réserve fédérale américaine garantissait que les autres pays détenant des réserves en dollars pourraient les échanger à tout moment contre de l’or de la Réserve fédérale américaine. À la fin des années 1960, la France et d’autres pays ont demandé de l’or en échange de ce qu’ils considéraient comme des dollars américains surévalués. L’industrie américaine, en panne, rouillait à cause du manque de nouveaux investissements et les déficits fédéraux américains explosaient à cause de la guerre du Vietnam. Les autres nations n’étaient plus disposées à accepter que le « dollar était aussi bon que l’or ». Ils demandaient de l’or, et non pas quelque chose d’« aussi bon que l’or »

Après le « choc Nixon », lorsque le président a déchiré l’accord de Bretton Woods en août 1971. laissant le dollar flotter, libéré de toute rédemption en or, le monde n’avait pas d’autre choix que d’accepter des dollars gonflés, une inflation qui montait en flèche avec le choc pétrolier de 1973 orchestré par le secrétaire d’État Henry Kissinger et la faction Rockefeller de la politique américaine. La suspension de la convertibilité dollar-or était une réaction de Washington au fait que les banques centrales de France, d’Allemagne et d’autres pays de l’OCDE exigeaient de plus en plus d’or de la Fed pour leurs dollars papier et les réserves d’or américaines risquaient de s’épuiser.

Là sont les racines de l’inflation mondiale la plus extraordinaire de l’histoire. Commencée avec les déficits budgétaires américains pendant la guerre du Vietnam dans les années 1970, suivie par la hausse de 400% du prix du pétrole en 1974 – un prix que le Trésor US, dans un accord secret avec l’Arabie saoudite en 1974-75, avait promis qu’il serait payé par le reste du monde en dollars – l’offre mondiale de dollars a augmenté de façon astronomique. Le montant des dollars en circulation, qui ne sont plus remboursables en or, a augmenté de 2 000 % entre 1971 et 2015.  La production de biens réels n’a pas augmenté autant.

Le fait que le dollar reste la plus importante monnaie de réserve des banques centrales étrangères – encore 64 % maintenant – avec l’Euro à 20% comme plus proche rival, donne un avantage extraordinaire au gouvernement américain.

Depuis 1971, les États-Unis ont enregistré des déficits budgétaires pendant 41 des 45 dernières années, la seule exception étant quatre années, dans les années 1990, lorsque la génération baby boom a atteint son pic de revenu et son pic de paiement de cotisations à la Sécurité sociale. Le département du Trésor US de Clinton a fait une manipulation comptable pour enregistrer cet effet exceptionnel comme un surcroît d’impôts, une fraude. Tous les ans, depuis 2001, le budget américain a retrouvé des déficits énormes, dépassant 1400 milliards de dollars en 2009, pendant la crise financière qui a débuté en 2008. Avant la rupture du lien entre l’or et le dollar, le déficit américain était de 3 milliards.

À juste titre, d’autres pays y voient un énorme inconvénient. Leurs investissements en bons du Trésor, libellés en dollars américains, pour leurs propres réserves de banque centrale, deviennent des titres sans valeur. Parce qu’ils sont plus ou moins obligés d’investir les excédents commerciaux gagnés de leurs exportations en bons du Trésor américain ou en titres américains similaires, l’afflux annuel de dollars vers les États-Unis, en provenance de la Banque centrale chinoise, des dollars excédentaires japonais, des dollars russes avant 2014, de l’Allemagne et d’autres pays excédentaires – permet au Trésor américain de maintenir les taux d’intérêt anormalement bas. Cela permet également à Washington de financer ces déficits sans stress majeur. Cette année, le déficit américain a atteint 585 milliards de dollars.

En effet, la Chine et la Russie ont financé ces dernières années le budget militaire américain en achetant des obligations et des bons du Trésor qui permettent au Trésor de financer ce déficit sans augmenter les taux d’intérêt. L’ironie cynique est que le budget militaire américain, financé par la Russie et la Chine qui doivent détenir des réserves en dollars pour se protéger contre les guerres de change potentielles de Washington, comme cela s’est produit contre la Russie après 2014, vise à contrôler la Russie et la Chine, et finalement à détruire leurs économies.

Si la loi sur la réduction des impôts de Donald Trump devient effective, les déficits américains atteindront la lune. C’est la toile de fond pour mieux comprendre ce que la Chine, la Russie, et les pays alliés préparent afin de réduire leur vulnérabilité à ce qui est sur une trajectoire balistique vers un système de réserves mondial en faillite. Si la Chine, la Russie et d’autres pays alliés de l’Eurasie, notamment des pays de l’Organisation de coopération de Shanghai et des pays candidats tels que l’Iran et la Turquie se tournent vers des accords bilatéraux, comme la Chine et la Russie, pour régler leurs échanges commerciaux, la devise dominante chutera et d’autres devises la remplaceront. Le yuan chinois est le principal candidat. Le rouble russe aussi.

Le statut de monnaie de réserve du yuan

Le très récent mouvement vers un règlement direct des échanges bilatéraux entre la Chine et la Russie, avec d’autres pays le long de la nouvelle Route de la soie, est une pierre angulaire majeure dans la création d’une alternative viable au dollar américain. une monnaie de réserve de référence.

Il y a une dizaine d’années, les économistes occidentaux ont qualifié cette idée d’absurde. Ils ont prétendu qu’il faudrait des décennies avant que le monde n’accepte le yuan comme monnaie de réserve. Le yuan n’était pas convertible.

En 2016, la Chine a été admise par le Fonds monétaire international comme l’une des cinq principales composantes monétaires des droits de tirage spéciaux du FMI, calculés avec un panier de devises. Cette mesure a donné au yuan une impulsion majeure vers son acceptation internationale.

Avant 2004, le yuan n’était pas autorisé en dehors de la Chine. Depuis lors, les autorités monétaires chinoises ont jeté les bases de l’internationalisation du yuan. Selon la Société pour la télécommunication financière interbancaire mondiale (SWIFT), l’internationalisation du RMB [renminbi, nom officiel du yuan] se déroule en trois phases, d’abord comme moyen pour le financement du commerce, puis pour l’investissement, et à long terme comme monnaie de réserve. Maintenant que « long terme » ressemble beaucoup à court terme car la Chine dépasse toutes les attentes des économistes conventionnels avec l’internationalisation de son yuan, cette perspective de voir le yuan devenir une monnaie de référence mondiale, ou une monnaie de réserve dépassant la part de l’euro dans les prochaines années, est ce qui a alarmé – pour le dire gentiment – le Trésor US, la Réserve Fédérale et les banques de Wall Street.

Dans un rapport de 2016, la banque HSBC a indiqué que depuis 2012, le yuan est devenu la cinquième devise la plus utilisée au monde.

Il y a deux ans, en octobre 2015, la Chine a lancé le China International Payments System (CIPS). Bien que ce système ait signé un accord de coopération avec le système SWIFT dominant, il donne une option à la Chine, en cas de sanctions américaines, lui permettant de fonctionner indépendamment de SWIFT. En 2012, Washington a fait pression sur le système privé de compensation bancaire internationale SWIFT, basé en Belgique, par lequel passent presque toutes les transactions internationales entre institutions bancaires, afin qu’il bloque la compensation pour toutes les banques iraniennes, pour geler 100 milliards de dollars d’actifs iraniens à l’étranger et paralyser sa capacité à exporter du pétrole. Le fait n’est pas passé inaperçu à Pékin et à Moscou, surtout quand certains députés américains cinglés ont appelé à exclure les banques russes de SWIFT après 2014.

En mars de cette année, Elvira Nabiullina, gouverneur de la banque centrale de Russie, a déclaré : « Nous avons terminé de travailler sur notre propre système de paiement, et si quelque chose se produit, toutes les opérations au format SWIFT fonctionneront à l’intérieur du pays. Nous avons créé une alternative. »

Création de la nouvelle architecture monétaire

Les investissements de la vaste initiative des Nouvelles routes de la soie s’élèvent à des milliers de milliards de dollars. Rien qu’en Asie, la Banque de développement de l’Asie estime qu’un investissement de 8 000 milliards de dollars sera nécessaire au cours des prochaines années pour amener ces économies vers une croissance efficace. La création par Beijing de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) l’an dernier a été une étape majeure pour obtenir un financement international au projet BRI.

En avril 2016, la Chine a annoncé sa décision de créer le Shanghai Gold Exchange, avec la Banque populaire de Chine, comme centre international majeur pour la fixation du prix de l’or et l’échange de l’or en yuans, par un règlement physique en lingots entre les banques, les raffineurs, les producteurs et les maisons de courtage. À cela s’ajoute la décision de la Chine de lancer une fixation quotidienne du prix de l’or en yuan qui pourrait finalement remplacer la cotation dominante de Londres, accusé de manipuler les prix mondiaux de l’or depuis des années.

En annonçant son initiative de Nouvelles routes de la soie, le gouvernement chinois, dans un commentaire peu remarqué, a déclaré que les routes de ses projets de chemins de fer à grande vitesse à travers les pays d’Eurasie relieront maintenant aux marchés mondiaux des régions éloignées, inaccessibles et connues pour avoir de grandes réserves d’or non exploitées.

Ce que font la Chine et la Russie, ce n’est pas d’attaquer le dollar américain pour le détruire. C’est hautement improbable et ne profiterait à personne. Il s’agit plutôt de créer une monnaie de réserve alternative indépendante pour les autres nations qui veulent se protéger des attaques financières de plus en plus fréquentes du Trésor américain et des banques et hedge funds de Wall Street. Il s’agit de construire un élément crucial de la souveraineté nationale, parce que le système du dollar est utilisé aujourd’hui pour ravager la souveraineté économique du reste du monde. Comme l’aurait dit Henry Kissinger dans les années 1970 : « Si vous contrôlez l’argent, vous contrôlez le monde entier. »

La déclaration du gouvernement chinois, maintenant que son système de règlement direct entre la Chine et la Russie est étendu à d’autres pays, le long des Nouvelles routes de la soie, ajoute une autre pierre à l’édification minutieuse de ce système monétaire alternatif, une alternative politiquement explosive, adossée à l’or, indépendante du dollar américain, qui pourrait protéger les nations d’Eurasie de Washington et de la guerre financière de l’UE dans les années à venir.

Voila ce qui met Washington dans tous ses états. Ses options s’évanouissent jour après jour. Guerre militaire, financière, cyberguerre, révolution de couleur – tout cela est de plus en plus impuissant de la part d’un pays qui a laissé détruire sa propre base industrielle et sa main-d’œuvre dans l’intérêt d’une oligarchie financière. C’est ainsi que l’Empire romain s’est effondré au Ve siècle, de même que l’Empire britannique entre 1914 et 1945, et tous les autres pays dont l’histoire est basée sur l’esclavage par la dette.

F. William Engdahl

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

 

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