Par Guy de La Fortelle, rédacteur du site d’information économique et financière L’Investisseur sans costume, pour le collectif REINFOCOVID.
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Chaque dose du vaccin Pfizer BioNTech coûte 15,50 € à la France. [1]
Sur ces 15 euros, 4 servent à la fabrication du vaccin, son transport, ainsi que tous les coûts fixes de marketing, affaires publiques, recherche et développement.
Et les 11 autres sont des marges pour Pfizer et BioNTech… Dose après dose après dose.
Cela fait 75 % de taux de marge sur un marché public, mondial, d’intérêt général : sur 26 milliards de ventes, presque 20 de profits.
Ces taux de marge ressortent de l’analyse des résultats trimestriels de Pfizer, publiés début mai. Mais bien sûr, Pfizer ne vous aide pas trop à vous en rendre compte. [2]
Pfizer maquille ses comptes façon camion
Au premier abord, Pfizer évalue ses bénéfices avant impôts à une grosse vingtaine de pourcent (High-20s as a Percentage of Revenues) [2] :
En lisant trop vite, on se dit que 20 et quelques pourcents de marge, après tout, pourquoi pas. Est-ce si scandaleux ?
Pour commencer, je ne serais pas étonné que les 20 gros pourcents se transforment en 30 petits par-derrière. La formulation n’est pas floue pour rien.
Mais c’est rater deux entourloupes grossières de Pfizer :
• Il faut compter la marge de BioNTech : ils font part à deux, 50-50 sur les bénéfices, donc sur les 26 milliards de ventes, il faut compter 25-30 % de marge pour Pfizer qui commercialise et autant pour BioNTech qui développe, soit 50 à 60 % de marge (n’oublions pas que Pfizer n’est pour RIEN dans le développement du vaccin ARN, ils prennent simplement leur part pour ouvrir le marché américain et donc mondial à BioNTech) ;
• Mais ce n’est pas tout : Pfizer déduit également de ses marges les investissements en R&D pour d’autres vaccins ARN, par exemple, pour la grippe. C’est une pratique comptable au mieux fantaisiste et plutôt douteuse. (Si vous êtes un constructeur automobile, vous ne retirez pas des marges de vos citadines les investissements pour vos berlines, cela n’a aucun sens.)
Cela revient à reporter vos marges sur les futurs vaccins qui seront moins scrutés que ceux du COVID. C’est grossier, mais cela semble suffisamment efficace. Ils ne précisent pas combien, mais Pfizer dépense en moyenne 15 % de ses revenus en R&D.
Voilà comment l’on passe de 20 et quelques pourcents de marges à près de 75.
Ces milliards pourraient aller à l’hôpital, aux soins, aux soignants, etc. Mais non, ils vont dans les poches des labos qui ne les méritent pas.
Et c’est le plus important : les profits de Pfizer et BioNTech ne sont pas un problème en soi.
Pile, je gagne et face, tu perds : derrière l’argent le pouvoir et les décisions
Si ces profits sanctionnaient justement un investissement, une prise de risque, un savoir-faire, une expertise, cela serait normal ou, du moins, acceptable.
Et quand bien même, si c’était le prix à payer pour sortir de cette crise, cela serait encore modeste : qu’est-ce que sont ces quelques dizaines de milliards au regard des milliers de milliards que coûte la crise, des millions de vies perdues ou simplement gâchées ? RIEN.
Et c’est peut-être pour cela que personne ne s’étend sur les profits des labos. Mais l’argent n’est que le révélateur d’un problème bien plus profond : nous vivons dans un monde où ceux qui recueillent les profits font porter les risques sur d’autres.
Nous sommes dans une nouvelle variation du Too Big To Fail. Nous privatisons les gains et socialisons les pertes. Dans le cas de Pfizer, du jour où le virus est arrivé, les risques ont été portés par les États.
Fin 2020, j’ai travaillé sur le financement des vaccins (cf : ci-dessous pour le détail) : les risques financiers et de R&D ont été portés par les précommandes des États et les grands plans Warp Speed et Covax, sans oublier l’Allemagne qui a énormément contribué (BioNTech est Allemande). Les risques légaux sont presque entièrement transférés aux États, ainsi que nous l’avons appris des contrats finalement publiés. Et il n’y a pas de risque commercial, puisque les contrats étaient passés avant même que les usines commencent à tourner (ou soient seulement sorties de terre).
Pas de risque, mais 75 % de taux de profit : c’est gravement dysfonctionnel.
Normalement, les jeux de concurrence et de réglementation devraient empêcher ces situations de : Pile, je gagne et face, tu perds.
Les nouveaux monopoles
Mais quelle concurrence ? Pfizer est contrôlé par Vanguard, BlackRock et State Street les trois géants américains de la gestion d’actifs.
Si les propriétaires effectifs de Pfizer font n’importe quoi, embauchent un mauvais patron ou font de mauvais choix stratégiques, normalement, la concurrence s’engouffrera dans la brèche.
Par exemple, Johnson & Johnson… Ah non, les trois actionnaires qui contrôlent J & J sont aussi Vanguard, BlackRock et State Street. Merck peut-être ? Non plus. Les trois actionnaires sont… Je vous laisse deviner.
Bien évidemment, cela ne se limite pas au secteur pharmaceutique et les géants de la gestion d’actifs sont également en position de contrôle de tous les grands groupes cotés américains (ou presque) et d’une bonne partie des groupes occidentaux.