- 340 Pages - 06/23/2020 (Publication Date) - AMH Communication (Publisher)
Le récit juste et sensible d’un amour que rien n’annonçait entre deux êtres que tout semble séparer, entre France et Grande-Bretagne à la fin des années soixante. C’est Un Été anglais, le nouveau roman de Marc Desaubliaux.
Entrer dans un roman, c’est un peu toujours une aventure. Il y a les premiers pas, parfois hésitants, au fil des quelques pages qui amorcent le récit. Et puis très vite (si le livre est correctement mené, et on aura déjà compris que tel est bien le cas de celui-ci) une familiarité s’amorce. Quelque chose de l’ordre de l’empathie, comme si quelqu’un vous accueillait chez lui avec une bienveillance affichée, pour vous faire partager avec bonheur le plaisir d’une histoire, fût-elle abrupte ou choquante (celle-ci ne l’est pas, mais sait en revanche cultiver un trouble très humain), et la forme d’intimité qu’une telle entreprise implique en général.
Marc Desaubliaux, dans son nouveau roman Un Été anglais, sait d’emblée installer cette connivence-là. On se coule rapidement, et avec aisance, dans le questionnement introspectif de son personnage, quinquagénaire parisien solitaire et un peu las, dont le spleen est devenu le meilleur compagnon. Triste ? Finalement non, pas du tout. Car une lettre inattendue reçue de Grande-Bretagne va soudain chambouler de fond en comble le quotidien de cet homme, et lui insuffler une vigueur nouvelle en déverrouillant brutalement les flots du souvenir. Le cœur du récit – dont l’essentiel, nous le comprenons en seulement quelques pages introductives, devient en fait un flash-back qui nous ramène un peu plus de quarante en arrière, à la fin des années soixante – peut se déployer.
« En attendant l’arrivée de mon mari et des enfants, je m’occuperai de vous », dit Mrs Crown à son jeune hôte lorsqu’elle accueille Fabrice, jeune français d’à peine plus de quinze ans venu passer quelques semaines en Angleterre, le temps d’un séjour linguistique estival. L’été 1968, très exactement. L’été de tous les changements pour l’Europe tout entière et même une bonne partie du monde, depuis que la jeunesse a bruyamment exprimé son besoin de nouveauté, portée par les mouvements émancipateurs et l’essor d’une culture de la différence.
Le mari de Mrs Crown, très pris par sa vie professionnelle, est souvent retenu à Londres. Exception faite de quelques brèves apparitions, on ne le verra guère au domaine de Langley Manor, la résidence cossue où la famille Crown vit dans une aisance certaine (il y a même du personnel de maison pour veiller à la satisfaction des besoins de tous), à proximité d’Oxford. Et on ne verra au fond pas beaucoup plus, enfin au début, les enfants du couple – dont l’aînée est pourtant censée servir de camarade de sortie au jeune Fabrice.
Car la personne qui prend d’emblée presque toute la place, c’est Margaret Crown, la mère. L’ensorcelante madame Crown, d’une beauté solaire alors qu’elle vient tout juste d’entrer dans la quarantaine. Aimable, délicieuse, enjouée en dépit d’un reste de réserve toute britannique, cette adulte séduisante et épanouie va prendre en charge l’organisation du séjour de son jeune et timide invité français. Et « s’occuper » de Fabrice, on le devine assez tôt, d’une manière dont le jeune homme n’aurait même jamais osé rêver, même dans ses songes les plus enfiévrés. Une relation amoureuse se noue, intense, entre ces deux êtres que normalement tout devrait séparer, à commencer par la différence d’âge.
Marc Desaubliaux mène avec un mélange de pudeur et de franchise le récit circonstancié de cette union transgressive, dont le vertige des sens, l’éblouissement charnel, est la principale clé de compréhension. Bouleversé jusqu’aux tréfonds de lui-même, Fabrice vit comme un séisme personnel la révélation d’un amour physique dont il devient violemment dépendant. Mais comment ne le serait-il pas, ainsi amené à la découverte au plaisir sensuel par une « initiatrice » à la fois attentionnée et expérimentée ? Figure fantasmatique commune à bien des rêveries masculines (qu’on se souvienne, dans un registre et à une époque presque similaires, de la troublante Mrs Robinson du célèbre film The Graduate en 1967, en français Le Lauréat, où le personnage encore très jeune incarné par Dustin Hoffman vit une liaison sensuelle torride avec une femme de l’âge de ses parents), la maitresse plus âgée est peut-être bien un classique de l’imaginaire des hommes, toutes générations et toutes périodes confondues.
Un Été anglais sait en tout cas capter avec adresse et finesse les ressorts de la relation qu’il dépeint, pour nous restituer subtilement chacun des rebondissements psychologiques de cette liaison forcément éphémère, non sans nous proposer au passage un portrait tout aussi attachant de l’Angleterre des sixties. Impeccable.