Le 28 avril 2021, le gouvernement a proposé un nouveau projet de loi renseignement, complété le 12 mai par de nouveaux articles tirant les conséquences de notre défaite devant le Conseil d’État (relire notre réaction).
L’objectif premier du texte sera de faire définitivement entrer dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence débuté en 2015 (assignation à résidence, perquisitions administratives…) ainsi que les mesures expérimentales de la loi renseignement de 2015 (surveillance automatisée du réseau par des « algorithmes »). L’objectif secondaire sera d’inscrire dans la loi française les violations du droit européen actées par le Conseil d’État le mois dernier afin de défendre à tout prix la surveillance de masse française. Toutefois, la menace la plus grave pourrait se situer entre les lignes : une multitude d’ajustements d’apparence sommaire qui semblent cacher un bouleversement dramatique du rapport de force entre le gouvernement et la population.
Dans cette première analyse, nous prenons le temps d’examiner l’ensemble des modifications apportées par ce projet de loi en matière de renseignement. Le texte qui vient d’être validé par la commission des lois de l’Assemblée nationale sera étudié en hémicycle à partir du 1er juin prochain.
Les perquisitions administratives appelées « visites domiciliaires » en novlangue sécuritaire, se voient dotées d’une nouvelle possibilité. Toujours sans contrôle d’un juge, l’article 4 offre à la police la possibilité d’exiger l’accès sur place à du matériel informatique. Si la personne perquisitionnée refuse, son matériel pourra être saisi et analysé par un laboratoire de la police.
Aujourd’hui, les services de renseignement peuvent exiger des services sociaux (comme la CAF) la transmission de données confidentielles, mais ces derniers peuvent y opposer le secret professionnel. Tout cela disparaît dans la réforme en cours de discussion. Le secret professionnel ne pourra plus être invoqué. Les services sociaux devront, de leur propre initiative ou sur requête, transmettre aux services de renseignement toute information qui pourrait permettre l’accomplissement d’une mission de renseignement. Les finalités sont larges, puisqu’elles concernent n’importe quelle finalité de renseignement (dont l’espionnage économique ou la surveillance des mouvements sociaux).
Cela continue donc de renforcer le rôle des services sociaux en tant qu’auxiliaire de contrôle et de surveillance de la population. Cette modification continuerait de rendre légitime une réelle défiance à leur égard alors qu’ils sont censés concourir au service (du) public.
Depuis 2015, les services de renseignement peuvent échanger entre eux les renseignements obtenus. Cet échange, prévu par l’article L863-2 du code de la sécurité intérieure, échoue à prévoir le moindre cadre procédural sérieux pour éviter un total dévoiement du dispositif. La Quadrature du Net avait donc attaqué ce dispositif devant le Conseil d’État, qui vient tout juste de saisir le Conseil Constitutionnel – et celui-ci ne devrait pas trop hésiter à censurer l’article.
La réforme du renseignement tente de contrer cette probable future censure constitutionnelle en posant des gardes-fous de pacotille à ce système absurde. Le partage de renseignements reste ainsi ouvert à tous les services de renseignement de premier comme du second cercle. Un service pourra obtenir de la part de ses partenaires des informations obtenues grâce à des techniques qui lui sont interdites, ou pour des finalités différentes de celles qui avaient motivé l’autorisation de la mesure de surveillance (l’avis de la CNCTR sera dans ces deux cas demandé). Le texte ne prévoit aucune limite dans le nombre de partages et n’impose pas non plus que certains agents seulement puissent accéder aux informations partagées. Le partage de renseignement vers ou depuis des services de renseignement étrangers est, quant à lui, totalement passé sous silence par la loi alors que différentes voix (telles que celle de la CNCTR et celle de la CEDH) questionnent depuis des années cette absence totale de contrôle.