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C’est la première fois que d’autres dictent à l’Occident des instructions plutôt que d’en recevoir sur la manière de se conformer aux lignes rouges américaines.


Par Alastair Crooke – Le 13 décembre 2021 – Source Strategic Culture

Un soupir de soulagement presque audible a résonné dans les couloirs occidentaux. Bien qu’il n’y ait pas eu de percée lors de la réunion virtuelle de l’équipe Biden-Poutine, les discussions ont, sans surprise, été fortement axées sur le sujet de préoccupation immédiat : l’Ukraine, dans un contexte de crainte généralisée que le volcan ukrainien n’entre en éruption à tout moment.

Lors de la réunion, il a été convenu de lancer une discussion de « basse intensité », de gouvernement à gouvernement, sur les lignes rouges de la Russie et sur l’arrêt de l’expansion de l’OTAN vers l’est. Jake Sullivan a toutefois jeté un froid suite à cette proposition en soulignant fermement que les États-Unis n’avaient pris aucun engagement sur ces deux questions. Biden (comme annoncé à l’avance) a mis en garde contre de fortes mesures notamment économiques si la Russie intervenait en Ukraine.

Ce qui est plus remarquable, cependant, c’est que les États-Unis menacent « seulement » de sanctionner la Russie ou d’envoyer plus de troupes dans la région, au lieu de demander une intervention militaire explicite de l’Occident et de l’OTAN en Ukraine. Dans des déclarations antérieures, Biden et d’autres responsables américains sont restés vagues quant à la réponse de Washington à une invasion russe : ils ont mis en garde à plusieurs reprises contre les « conséquences », alors même qu’ils s’engageaient à nouveau en faveur de la souveraineté de l’Ukraine.

Alors, devrions-nous tous recommencer à respirer ? En fait, non. En fait, l’urgence de la question ukrainienne a toujours été une sorte de faux-fuyant : la Russie n’a aucune envie de s’enfoncer dans la boue épaisse et gluante d’un bourbier régional, même si certains Occidentaux en seraient « ravis ». Les forces de Kiev sont fatiguées, épuisées et démoralisées après avoir passé des mois dans des tranchées froides le long de la ligne de contact. Elles n’ont guère envie de s’attaquer aux milices du Donbass (à moins d’être aidées de l’extérieur).

Rien n’a été résolu sur ce qu’il convient de faire au sujet de la sombre et vaste dystopie qu’est l’Ukraine – quel que soit la forme qu’elle prend. Le président Poutine a évoqué l’accord de Minsk, mais personne, semble-t-il, n’a mordu à l’hameçon ; le fil de pêche est resté détendu. Il n’y a pas eu non plus d’accord sur ce qu’il fallait faire des débris accumulés de ce qu’on appelait autrefois les « relations diplomatiques » américano-russes. Ce dernier terme (les relations diplomatiques) n’est plus qu’une mauvaise blague.

La célébration n’est donc pas de mise. Les factions viscéralement anti-Poutine aux États-Unis et à Kiev sont furieuses : un sénateur républicain américain, Roger Wicker, a averti que dans toute impasse concernant l’Ukraine, « je n’exclurais pas une action militaire. Je pense que nous commettons une erreur lorsque nous retirons des options de la table, donc j’espère que le président gardera cette option sur la table ». À la question de savoir en quoi consisterait une action militaire contre la Russie, Wicker a répondu que cela pourrait signifier « que nous nous [tenions] à l’écart, avec nos navires dans la mer Noire, et que nous [fassions] pleuvoir les coups sur les forces militaires russes », ajoutant que les États-Unis ne devraient pas non plus « exclure une première action nucléaire » contre la Russie.

Ainsi, la situation de l’Ukraine s’envenime. Si nous devons maintenant connaître une accalmie, ce n’est que cela, « une accalmie ». Les « faucons » américains et européens n’ont pas hissé le drapeau blanc : l’Ukraine sert bien trop leurs intérêts pour être mise de côté à la légère.

Cependant, cette focalisation sur la crise ukrainienne, c’est « l’arbre qui cache la forêt » : nous avons trois – et non une – bombes à retardement prêtes à exploser. Trois « fronts » : chacun d’entre eux est distinct, mais étroitement lié aux autres, et est désormais traversé par des niveaux inconnus d’objectifs stratégiques et de synchronicité : l’Ukraine, Taïwan et l’accord JCPOA chancelant – qui suscite aujourd’hui une angoisse indicible à Tel Aviv.

La forêt caché par ces trois arbres ne fait pas le poids face à la question non résolue de l’architecture de sécurité européenne, de l’architecture de sécurité du Moyen-Orient et de l’architecture de sécurité mondiale. L’ordre existant, fondé sur des règles, a dépassé sa date de péremption : il n’assure pas la sécurité et ne reflète pas la réalité des équilibres entre les grandes puissances contemporaines. Il est devenu pathogène. Pour dire les choses simplement, il est trop fossilisé dans la leitkultur 1 de l’après-Seconde guerre mondiale.

Dans une récente interview de CNN, Fareed Zakaria, a demandé à Jake Sullivan, le conseiller à la Sécurité de Biden : Qu’est-ce qui a été négocié avec la Chine, après tous vos « discours musclés » ? « Mauvaise question », a rétorqué Sullivan. « Ce n’est pas la bonne manière de présenter les choses », a-t-il dit sans ambages : Ne posez pas de questions sur les accords bilatéraux ; demandez plutôt ce que nous avons obtenu d’autre. La bonne façon de penser à ce sujet, a déclaré Sullivan, est la suivante : « Avons-nous fixé les modalités d’une concurrence efficace où les États-Unis sont en mesure de défendre leurs valeurs et de faire avancer leurs intérêts, non seulement dans la région indo-pacifique, mais aussi dans le monde entier… ».

« Nous voulons créer les circonstances dans lesquelles deux grandes puissances opéreront dans un système international pour les années à venir – et nous voulons que les modalités de ce système soient favorables aux intérêts et aux valeurs américains : il s’agit plutôt d’une disposition favorable dans laquelle les États-Unis et leurs alliés peuvent façonner les règles internationales à suivre sur le genre de questions qui vont fondamentalement compter pour le peuple de notre pays [l’Amérique] et pour les peuples du monde entier ».

C’est cette leitkultur maximaliste qui nous conduit à un point où ces trois questions explosives risquent de provoquer un bouleversement fondamental de l’ordre mondial. Il faut remonter loin dans le temps pour trouver un moment où notre monde était aussi vulnérable à un changement soudain de destin – ce qu’Ambrose Evans-Pritchard, dans le Telegraph, appelle « Le cauchemar de l’Occident : une guerre sur trois fronts ».

Que se passe-t-il ? Eh bien, il s’agit certainement d’un sujet de très vaste portée. Et pourquoi les États-Unis insistent-ils sur une conception aussi absolue de l’ordre mondial, une conception selon laquelle les autres grandes puissances n’ont pas le droit de fixer leurs propres lignes rouges en matière de sécurité ? Eh bien, c’est à cause … des « quatre cavaliers » des Grandes Transitions :

La pandémie – qui débouche sur un système mondial de réglementation de la santé ; l’urgence climatique – qui débouche sur un régime mondial de crédits et de débits de CO2 ; la révolution de la technologie et de l’intelligence artificielle – qui nous fait entrer dans une ère mondiale d’automatisation et de « robots » (et de pertes d’emplois) ; et enfin, la transition de l’économie classique vers la théorie monétaire moderne mondiale, qui exige une remise à plat de la montagne de dettes mondiales qui ne seront jamais remboursées.

La vision de Sullivan pour les « années à venir » est essentiellement conçue autour de ce projet « d’ordre supérieur » : la préservation des « règles de conduite » mondiales, conçues pour refléter les « intérêts des États-Unis et de leurs alliés », en tant que base à partir de laquelle les « transitions » – santé, changement climatique, technocratie managériale et monétaire – peuvent passer de la prérogative parlementaire nationale à un niveau supranational d’entreprises et de collectifs d’« expertise » managériale technologique (sans responsabilité vis-à-vis du contrôle parlementaire national).

Pris séparément dans des domaines tels que les précautions sanitaires, le redressement du climat, la promotion des « miracles » technologiques et l’émission d’argent dissociée de la fiscalité, ils semblent non idéologiques et, d’une certaine manière, presque utopiques.

Il était bien entendu que toutes ces transitions bouleverseraient des modes de vie humains anciens et profondément enracinés, et déclencheraient inévitablement des dissidences – c’est pourquoi les nouvelles formes de « discipline » sociale et l’usurpation du contrôle de la responsabilité nationale au profit du plan supranational sont si importantes. Cela ne rend certainement pas les gens « heureux » (selon le Davos).

Hmmm ! … les dessous idéologiques de ce réaménagement d’un « ordre supérieur » peuvent être cachés, comme étant non partisans, mais c’est celui qui décide des normes internationales, des protocoles, des mesures et des règles de ces transitions qui est souverain – comme Carl Schmitt l’a fait remarquer.

Sullivan a au moins le mérite d’être franc au sujet de l’idéologie occulte du Reset : « Nous voulons que les modalités de ce système soient favorables aux intérêts et aux valeurs des Américains : il s’agit plutôt d’une configuration favorable dans laquelle les États-Unis et leurs alliés peuvent façonner les règles de conduite internationales sur les types de questions qui vont fondamentalement compter pour le peuple de notre pays [l’Amérique] et pour les peuples du monde entier… ».

Nous parlons ici de quelque chose qui va clairement bien au-delà de la portée des sommets de Biden avec Xi et Poutine, et des négociations du JCPOA à Vienne. Le président Poutine a prévenu que tout empiétement par des infrastructures ou des forces de l’OTAN en Ukraine ne serait pas autorisé. Et que la Russie agirait de manière décisive pour l’empêcher. De même, l’Iran a déclaré explicitement que toute attaque israélienne contre ses installations nucléaires ne serait pas tolérée. Elle entraînerait la destruction par l’Iran des infrastructures vitales israéliennes sur l’ensemble du territoire.

Et la position de l’Iran et de la Russie est identique à celle de la Chine à l’égard de Taïwan : le président Xi l’a clairement indiqué lors du sommet virtuel qu’il a tenu avec Biden le 15 novembre. Xi a prévenu que toute tentative de sécession de Taïwan était interdite et entraînerait une réponse militaire.

À Vienne, l’Iran a simplement énoncé ses « lignes rouges » : aucune discussion sur les missiles balistiques iraniens ; aucune discussion sur le rôle régional de l’Iran ; et aucun gel de l’enrichissement – tant que le mécanisme de levée des sanctions et de garantie de leur non-réapparition n’est pas convenu – appelant de fait à un retour au cadre initial de l’accord de 2015. L’Iran exige des garanties contraignantes que les sanctions ne seront pas réimposées de manière arbitraire, que la normalisation du commerce ne sera pas à nouveau entravée de manière informelle contrairement aux clauses de l’accord, comme cela s’est produit sous Obama (le département du Trésor américain a mené sa propre politique anti-commerciale, en désaccord avec celle de la Maison Blanche), et que toutes les sanctions soient levées.

Ce qu’il faut noter ici, c’est le contexte : notez que la position iranienne est presque identique dans son contenu à celle énoncée par la Russie, vis-à-vis des États-Unis, en ce qui concerne l’Ukraine : la demande de Poutine à Washington est que les intérêts et les « lignes rouges » de la Russie soient officiellement reconnus et acceptés ; que des accords juridiquement contraignants soient conclus en ce qui concerne la sécurité de la Russie en Europe de l’Est ; et l’exigence absolue d’une interdiction de tout nouvel empiétement de l’OTAN à l’Est, ainsi qu’un veto sur toute infrastructure de l’OTAN exportée en Ukraine.

C’est très nouveau, en géopolitique des coïncidences de cette nature ne se produisent pas spontanément. Il est évident que les trois puissances se sont stratégiquement, politiquement et probablement aussi militairement coordonnées.

Les États occidentaux sont stupéfaits : c’est la première fois que d’autres leur dictent leur conduite, en définissant leurs lignes rouges, au lieu de recevoir des instructions sur la manière de se conformer aux lignes rouges américaines. Ils sont déconcertés et incertains de ce qu’ils doivent faire ensuite. Et, comme le note astucieusement Anatol Lieven, certaines actions auraient de graves conséquences stratégiques : « Mis à part les dommages économiques mondiaux qui résulteraient d’une guerre en Ukraine et la façon dont la Chine tirerait parti d’une telle crise, l’Occident a une très forte raison d’éviter une nouvelle guerre : il serait perdant ». Lieven poursuit : « Cela risquerait également de devenir une guerre mondiale ; car il est pratiquement certain que la Chine exploiterait une guerre entre les États-Unis et la Russie, menaçant ainsi les États-Unis du risque de deux guerres simultanées et d’une défaite dans les deux ».

Pour l’instant, les États-Unis et leurs alliés répètent les platitudes habituelles sur « toutes les options envisageables », sur les sanctions paralysantes et sur la formation d’une coalition internationale pour faire pression et s’opposer à cette non-conformité. Car, sans la collaboration des concurrents (ou l’isolement politique et la condamnation effective de ces États), le projet supérieur consistant à élever ces transitions apparemment « non idéologiques » au niveau de la sphère supranationale avec ses normes, ses protocoles etc (les « modalités du système » selon Sullivan) ne sera pas atteint. Il ne sera pas possible de télécharger une mise à jour du logiciel du « consensus de Washington » lorsque ces trois États refusent tout simplement les « règles » de Sullivan.

Un reset stratégique ne sera cependant pas facile à réaliser. L’Occident est plongé dans la guerre des mèmes, ce qui rend d’autant plus difficile une partition de l’ordre stratégique. Tout compromis sur l’idée que la Russie ne peut pas avoir ses propres lignes rouges, qu’elle ne peut pas décider de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, ni déterminer où l’OTAN installe ses missiles et ses armes nucléaires, risque de faire passer Biden pour un faible. Les Républicains ont déjà accusé de manière préventive ce qu’ils appellent la « faiblesse » de Biden d’avoir encouragé un « aventurisme dangereux » de la part de Moscou.

Mais peut-être ces deux sommets, ainsi que la position de l’Iran à Vienne, représentent-ils le début de la fin de l’ordre occidental fondé sur des règles, et le début du compte à rebours vers un nouvel équilibre géostratégique entre les deux axes et donc, en fin de compte, vers la paix ou la guerre.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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