Comme la plupart des dictateurs qui ont fait et défait le XXème siècle, Fidel Castro est mort dans son lit, en toute tranquillité. Il portera dans la tombe presque 50 ans d’ombre et de lumières d’une dictature qui au début ne se voulait pas telle. Avec lui meurt aussi l’un des derniers symboles du socialisme révolutionnaire. Il manquera un peu à tous, y compris aux ultra-libéraux.
Bobos vs néolibéraux
Pour la plupart de ses admirateurs, Fidel Castro fut pendant longtemps le symbole de la lutte contre l’oppression étasunienne, le colonialisme et le capitalisme. C’est tout. Pour ses détracteurs, il fut rien d’autre que le féroce dictateur d’un obsolète pays communiste. Point.
Encore aujourd’hui, la parabole de Castro est objet de toute sortes d’hystéries idéologiques. Il semble que toute pensée occidentale autour de Cuba et du lìder maximo échoue ponctuellement en un lamentable débat idéologique. Deux champs semblent se former à chaque occasion.
D’une part les bobos, séduits plus par les chansons de Buena Vista Social Club que par la réalité du socialisme à la cubaine, qu’ils ne connaissent qu’à travers la propagande de La Havane. Ceux-ci exaltent l’internationalisme de la révolution cubaine, l’opposition aux USA, la prétendue redistribution des richesses du pays et son système éducatif et sanitaire. C’est la petite et grande bourgeoisie « de gauche », qui gonflait tout le monde au lycée et à la fac avec ses t-shirt du Che et ses slogans appris par cœur.
De l’autre, la foule « de droite ». Pour des motifs pas trop clairs, le capitalisme est un choix meilleur que le socialisme. Fidel représentait pour eux l’hypocrisie d’une dictature qui se voulait proche du peuple mais qui a également approuvé un grand nombre de restrictions à la libertés. Pour eux, plus qu’antilibérale, la dictature de Cuba est anachronique.
Cependant, ni les grotesques tirades politically correct de la gauche, ni les dogmatismes de la droite doivent nous empêcher de penser Fidel Castro et la Cuba qu’il a bâti et gouverné pendant presque cinquante ans.
Ombres et lumières : la parabole de(s) Castro et de Cuba
Initialement la révolution cubaine n’était pas inspirée directement par les idéaux marxiste-léninistes. L’objectif primaire était de renverser la dictature de Fulgencio Batista et de se démarquer du protectorat américain. Ce sont les circonstances qui le poussent vers le champ communiste. Le nouveau régime mène une reforme agraire qui limite la propriété privé et nationalise les terres et même des entreprises américaines, ce qui met en alarme les États-Unis, lesquels cherchent de renverser le nouveau régime et imposent un blocus qui dure encore aujourd’hui.
Le choix du communisme et de l’alliance à l’Union soviétique ne semble pourtant indisposer les nouveaux dirigeants, qui trouvent finalement un protecteur et une légitimation internationale. Cependant la nouvelle alliance entraîne plusieurs problèmes qui persisteront jusqu’à nos jours. Tout d’abord, des vagues d’émigration, notamment vers les États-Unis. C’est là que les quelque 1,2 millions de réfugiés y vivant ont fêté la mort de l’ancien leader cubain. Ensuite, suppression de la liberté de presse, persécutions des opposants au régime, des intellectuels et des homosexuels, athéisme d’état. Enfin, mauvaise gestion de l’économie nationale, qui donne comme résultat un marché noir parmi les plus florissants de la zone. À Cuba, la prostitution est par exemple officiellement interdite, mais elle y est surtout très répandue.
Fidel Castro et ses révolutionnaires n’y sont pour rien ? Castro est-il vraiment l’ascète qu’il prétend être ? Alors que le lidér maximo déclare ne s’être jamais enrichi, en 2014 son ancien garde du corps, Juan Reinaldo Sanchez, publie un livre, La vie cachée de Fidel Castro. Y fait état des immense privilèges du dirigeant cubain et de ses propriétés guère « prolétariennes ». Autoritaire et mégalomane, Fidel vivra pour toujours le personnage qu’il s’est crée, évitant de trop se confronter à la réalité de son propre pays. C’est à son frère Raoul, bien plus pragmatique, qui est confié la tache de reformer Cuba.
Il faut pourtant admettre que la politique internationale du dirigeant de La Havane s’est globalement révélée cohérente avec ses propos. Il soutient plusieurs mouvements de guérilla, notamment en Amérique latine. Dans les années ’70 des dizaines de milliers de soldats et officiers sont envoyés en support de l’Éthiopie communiste et en Angola. C’est dans ce dernier pays que l’aide cubain se relève décisif pour combattre l’Afrique du Sud et le Zaïre, soutenus par les États-Unis. En outre, Castro se lie d’amitié à plusieurs dirigeants, parmi lesquels la coqueluche de la gauche tiers-mondiste Nelson Mandela et l’aujourd’hui très détesté clan des Assad en Syrie.
Le sauvetage de Cuba
Après la chute de l’URSS, principale protecteur et investisseur de Cuba, le régime cubain devait s’effondrer. Cela pour la simple raison qu’il ne servait plus à rien. Son existence avait un sens seulement dans le cadre de la contraposition entre le bloc du Pacte de Varsovie et celui de l’Otan. Castro et ses partisans semblent destinés à finir dans les oubliettes de l’Histoire. Suivant les théories du guru libérale Francis Fukuyama, l’Histoire était arrivé à son terme. Le socialisme s’est révélé un échec total, les dictatures tombent les unes après les autres et se transforment, au moins formellement, en démocraties adeptes de l’économie de marché.

Mais c’ était oublier les mouvements sociaux de l’Amérique latine, les quelques soutiens dont Castro jouissait encore et les nouveaux défis au Moyen-Orient et en Asie orientale. Avec les interventions militaires occidentales aux Balkans, en Irak, en Afrique et en Afghanistan, Cuba est momentanément oubliée. Au final, elle ne pose plus aucun problème. La Havane gagne ainsi du temps et trouve des nouveaux sponsors, principalement en la figure de Hugo Chavez et d’Evo Morales. Les gouvernements du Venezuela, de la Bolivie et d’autres trouvent finalement une légitimation idéologique grâce à la bénédiction octroyée par Fidel Castro.
Cuba revient ainsi jouer un rôle politique de premier plan dans les rapports éternellement tendus entre les USA et l’Amérique latine. En est un exemple, la création, en avril 2005, de l’organisation ALBA. L’alliance a comme but la création d’une coopération internationale entre les états membres et l’introduction d’une monnaie commune, le SUCRE, qui vise à réduire la dépendance du dollar américaine.
Mais avec l’effondrement des mouvements bolivariens et populaires, Cuba se retrouve encore une fois isolée. Elle n’a d’autre choix que de pactiser avec les États-Unis. Une fois de plus ils ont de la chance. Le nouveau locataire de la maison blanche est un afro-américain du parti démocrate. Le nouveaux pape est un jésuite d’Argentine qui veut rompre avec les privilèges du Vatican et relancer l’église dans le monde.
Fidel a laissé le pouvoir en 2008 à l’age de 80 ans, cédant la place à son frère Raoul Castro. Ce dernier n’hésite pas à lancer des reformes économiques, sociales et politiques et à trouver un terrain d’entente avec les USA. Les relations diplomatiques sont ainsi rétablies. Le processus de normalisation se concrétise avec l’historique visite de Barack Obama à La Havane en mars 2016.
Mort d’un mythe qui convenait à tout le monde
Vénéré ou haï, la figure de Fidel Castro avait un sens, ou au moins en donnait un. Dans un monde de platitude, où la médiocratie est au pouvoir, la mort du leader cubain ne peut qu’affecter tout le monde. Parler de Cuba et de Castro permettait aux uns et aux autres de légitimer leurs propres points de vue. L’échec économique et la restriction des libertés humaines est, pour les partisans de la droite, la preuve irréfutable du danger représenté par le socialisme. Ses quelques succès sociaux sont pour d’autres, au contraire, l’étendard d’une certaine idée de ce socialisme « à visage humain ».
Quoi qu’il en soit, il nous manquera de le détester ou de le vénérer, à tort ou à raison.

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