Voici ce qu’écrit Robert Redslob (photo) dans Le Monde diplomatique, au lendemain de la signature du traité de Rome en 1957, top départ de la construction européenne. Robert Redslob était le doyen honoraire de la faculté de droit de Strasbourg, spécialiste de droit constitutionnel et de droit international public.
État fédéral ou État confédéral ?
« A l’heure actuelle, quand on discute la manière de construire l’Europe ou de charpenter la Communauté française on parle beaucoup, un peu à tort et à travers, de fédération et de confédération. Ces termes ne sont pas précis. Il faut opposer Etat fédéral et confédération. L’option est entre ces deux types bien définis qui se font face et dont l’un est d’ordre constitutionnel, l’autre d’ordre international.
Commençons par la confédération. C’est un traité, pas autre chose. Un traité particulièrement astringent, il est vrai. Car la confédération suppose la mise en commun d’activités essentielles, qui sont propres à l’État, et un organe pour les mener conjointement. La confédération peut aller très loin. Elle peut même créer une diplomatie, une armée uniques. Elle peut avoir un Parlement. Elle peut avoir une charte qui ressemble étonnamment à celle d’un État fédéral. Mais la confédération reste toujours un phénomène contractuel. C’est dire qu’elle se noue entre des États préexistants et qui restent souverains.
Les modèles historiques de ce genre sont présentés par la Confédération helvétique de 1815, la Confédération germanique de la même année et la Confédération des républiques nord-américaines de 1776, établie lors de la guerre d’indépendance.
L’État fédéral est tout autre chose. C’est un État, le nom le dit. Il relève du droit public et non du droit des gens.
L’édifice est en deux étages. On observe, en l’espèce, une superstructure d’organismes politiques. Il y a d’abord des États individuels, bien caractérisés et qui ont leur vitalité propre ; ce sont de vrais États, qui ont tenu leur rôle dans l’histoire. Or au-dessus de ces États, les primant de sa supériorité, s’élève un autre, un nouvel État qui les embrasse tous et attire à lui des fonctions d’importance première. C’est lui qui est souverain. Les États particuliers ne le sont plus. Ils sont réduits à un statut de dépendance.
Les types du genre ont été la Suisse depuis 1848, l’Empire allemand depuis 1871, et les États-Unis de l’Amérique du Nord depuis 1789. Invoquer ces exemples est constater que normalement la confédération prépare l’État fédéral, qui apparaît comme sa consolidation.
Il faut, de la part des peuples, une adhésion, une soumission, bref un consentement
Il résulte de ces données que la naissance de l’État fédéral équivaut à une action créatrice partant des populations. Car la formation d’un État n’est pas une œuvre qui s’accomplit tout simplement, comme la confédération, par un texte que des gouvernements élaborent autour d’une table ronde. La formation d’un État est une génération organique. Il faut, pour qu’un État voie le jour, un grand mouvement psychologique parmi les populations qui sont appelées à vivre sous son égide. Il faut, de leur part, une adhésion, une soumission, bref un consentement. Bien entendu, ce consentement peut être plus ou moins dynamique. Mais toujours faut-il que les populations reconnaissent une autorité nouvelle à qui elles sont prêtes à obéir dans un esprit de fidélité.
Cela n’empêche pas que la constitution de l’État fédéral soit préparée par des hommes politiques qualifiés. Mais ils ne pourront que proposer la charte. Aux populations de l’accepter par une puissante fluctuation des esprits, un acte politique novateur, qu’il s’exprime par un référendum ou autrement.
Quant aux États qui seront désormais incorporés au système, ils peuvent consentir d’avance à leur changement de statut, afin d’éviter l’apparence d’un coup de force. Les traités de novembre 1870 entre les États d’Allemagne en sont un exemple.
Pas D’ÉTAT fédéral qui ne surgisse des convictions et de l’élan constructif des populations
Il reste que la naissance d’un État fédéral est un bouleversement de la vie et des conceptions politiques du passé. Elle ne va pas sans une modulation profonde de la conscience civique. C’est précisément pourquoi, dans les trois cas classiques par nous observés, l’État fédéral a été préparé, dans les esprits, par la confédération qui a créé l’habitude de coopérer et de se mettre dans le sillage d’une volonté commune.
En somme, une vérité reste entière : pas d’État fédéral qui ne surgisse des convictions et de l’élan constructif des populations. Il faut que les populations le veuillent et se rangent spontanément sous sa bannière. L’édification de l’État fédéral n’est pas, dans son essence, un acte juridique ; c’est un acte historique. Il prendra une forme de droit, mais il est forgé en marge du droit par le marteau du destin.
En conclusion : l’État fédéral, personne n’en disconviendra, est une forme politique de grande valeur. Il a fait ses preuves dans l’histoire. On peut trouver en lui d’heureuses solutions d’avenir. Toujours faut-il retenir une chose : l’expérience nous a enseigné que l’État fédéral, ayant besoin d’une assise psychologique, ne s’improvise pas, mais est l’aboutissement d’une évolution.«
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Mais, sans doute par modestie, Robert Redslob termine son article ainsi : « Cependant nous vivons en un temps où la vitesse triomphe d’une manière étourdissante. Alors on peut imaginer que les anciennes mesures ne valent plus. » – Par cette dernière phrase, il est probable que Robert Redslob participa à l’abandon de la démocratie auquel nous assistons aujourd’hui. Nous l’expliquerons par le doute que peut envahir un homme de sagesse et de réflexion, sur la fin de sa vie. Le tragique de l’Histoire nous incite aujourd’hui à beaucoup plus de prudence étant donné la propension des peuples à reproduire les erreurs du passé, et la vacuité d’une modernité que certains vénèrent au point d’en faire une fin pour l’Histoire.
Les « anciennes mesures » sont donc plus valides que jamais, alors que les Français vont très vite devoir choisir entre l’abandon définitif de leur souveraineté (déjà accepté en 1992) et le nationalisme politique qui fut à l’origine des 2 plus grandes guerres que l’Europe ait connu.
A la lecture de ce texte de Robert Redslob, il apparaît clair que la construction européenne, qui « se fait sans les peuples, en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de justice »(*) manque clairement de cet Élan constructif des populations. Et si ce dernier est absent, c’est bien parce que les élites européennes ont préféré faire sans lui.
Ainsi, des accords de Maastricht, dont Jacques Attali dit lui-même qu’il « n’est pas très démocratique » car il fait « en sorte que sortir ne soit pas possible (on a soigneusement oublié d’écrire l’article qui permet de sortir)« , jusqu’au traité de Lisbonne qui, le 13 décembre 2007, met en vigueur des dispositions refusées par le peuple Français par référendum deux ans plus tôt, nos politiques ont « soigneusement » assuré l’échec de la construction européenne en en excluant les seuls capables de la construire vraiment: les peuples Européens.
Natacha Polony : « Le jour où les politiques préféreront répondre aux aspirations des citoyens plutôt que de récolter les satisfecit du clergé médiatique et les félicitations des multinationales qu’ils servent avec zèle, ils n’auront plus à craindre cette colère qui leur fait aujourd’hui si peur et qu’ils attisent par leur couardise. »
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(*) Philippe Séguin le 5 mai 1992 à l’assemblée nationale
Robert Redslob dans Le monde diplomatique en 1959

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- Collectif (Auteur)
Il faudra quand même expliquer un jour comment et qui a placé Walter Hallstein, un nazi notoire depuis 1935, à la présidence de la première commission européenne en janvier 1958, mandat qui a duré jusqu’en 1967.
Walter Hallstein a en effet fait partie de la BNSDJ (Bund Nationalsozialistischer Deutscher Juristen), qui devint en 1936 la Nationalsozialistischen Rechtswahrerbund, une association de juristes Nazis.
Si son rôle au sein de cette formation n’est habituellement pas remis en cause (et donc son engagement dans le système Nazi), je n’ai pas trouvé de commentaire, soupçon, ou information avérée sur sa participation directe à des crimes Nazis. Qu’on le veuille ou non, l’Europe s’est également construite avec le passé des peuples qui la composent (Je fais références ici également aux liens qui existaient entre F.Mitterrand et certains anciens collaborateurs).
La page a été tournée et je ne souhaite pas participer aux condamnations ad hitlerum à la mode. Il n’y a pas selon moi de raisons de critiquer une organisation comme la commission européenne sur cet argument. Il en existe bien d’autres plus « actuels » et pertinents (je vous l’assure) …
Je serais en revanche plus critique sur le choix d’un juriste comme Mr Hallstein pour la présidence de la commission, ce qui démontre l’aspect « technocratique » de la construction européenne, dès son début.