La démission, le 8 septembre, du premier ministre arménien Hovik Abrahamyan, n’a pas suscité beaucoup de surprise en Arménie. Cela faisait déjà quelques temps que des rumeurs prévoyaient le départ de monsieur Abrahamyan dans le cadre d’un profond remaniement du gouvernement arménien.
De plus en plus délégitimé en raison de différents scandales politiques, le gouvernement se retrouve sans soutien populaire et doit se barricader derrière l’usage des forces de police. Cet événement doit susciter notre intérêt dans le sens où l’actualité de cet état nous narre l’histoire d’une révolte contre une élite politique qui a perdu pied avec une certaine réalité, son peuple et son histoire. Un paysage qui pourrait se rapprochait de celui qui nous entoure d’ici quelques années.
Le long été arménien
L’Arménie vient de sortir d’un long été de contestations, le quatrième depuis le début de l’année 2012, qui a profondément secoué la société civile et le gouvernement.
Le 17 juillet 2016, un groupe armé, composé d’une trentaine de personnes, prend le contrôle de la station de police du quartier de Erebouni, au sud-est de la ville d’Erevan. Pendant l’assaut, un policier est tué, deux membres du groupe sont blessés, et huit fonctionnaires sont pris en otage. Ainsi commence une crise d’otages qui durera presque trois semaines.
Les insurgés, qui se font appeler « Sasna Dzer » et dont la plupart d’entre-eux font partie de l’organisation extra-parlementaire « Parlement Fondateur », réclament la libération de leur leader Jirair Sefilyan, ainsi que celle d’autres opposants politiques. En outre ils réclament la démission de Sarkissyan, appelant le peuple à descendre dans les rues et l’armée à les soutenir. Une partie d’entre eux sont des anciens vétérans de la guerre du Haut-Karabagh, et ils s’opposent farouchement à un possible accord visant à rendre à l’Azerbaïdjan une partie des territoire conquit entre 1992 et 1994.
D’imposantes manifestations suivent la crise des otages, laquelle se résoudra après avec la reddition du groupe « Sasna Dzer » et des vagues d’arrestations et de violences de la part de la police envers les manifestants et les journalistes. D’importantes évictions suivront la reddition du groupe armée dont celles de :
- Hrant Yepiskoposian, directeur adjoint du Service de Sécurité National (SNS),
- Mnatsakan Marukian, qui dirigeait le département d’enquêtes du SNS,
- Gevorg Kostanian, procureur général d’Arménie.
Plus récemment des sources proches de « ArmInfo » semblent confirmer que d’autres cadres du gouvernement changeront de poste. Ainsi le chef de l’état-major Vigen Sargsyan sera nommé ministre des Affaires étrangères, alors que l’actuel ministre des Affaires étrangères Edouard Nalbandian redeviendrait ambassadeur en France.
La démission de Monsieur Abrahamyan pourraient donc faire partie de cette série de limonages ayant comme but d’éliminer ce qui reste de l’opposition, interne tout comme externe, à l’autorité de Serge Sarkssyan pour les remplacer avec des figures plus fidèles. Selon Armen Martirosyan, membre du partie politique d’opposition Héritage, Abrahamyan aurait été ni plus ni moins qu’un bouc émissaire, forcé à démissionner pour laisser la place à un autre personnage, proche des intérêts russes dans la zone.
Le nouveau premier ministre
Hovik Abrahamyan à été très vite remplacé par Karen Karapetyan, figure très connue en Arménie et considéré, à tort ou à raison, comme étant l’un des seuls politiciens du pays avec des compétences avérées. Ancien maire d’Erevan, il démissionne seulement un an après et s’installe en Russie, où il devient CEO pour Gazprom, le colosse du gaz russe, lequel contrôle les approvisionnements du gaz arménien.
Le choix de Karapetyan pourrait ainsi avoir été fait aussi en raison de sa proximité avec la Russie et, surtout, de Gazprom. Cela pourrait aussi s’inscrire dans une perspective de rapprochement entre Erevan et Moscou, dont les rapports s’étaient abîmée dans les derniers deux ans, notamment sur la question du Haut-Karabagh et des rapports de force entre les deux pays au sein de l’Union Économique Eurasiatique.
Karapetyan devra donc faire face une longue liste de situations délicates qui risquent d’exploser à tout moment. Une des raisons principales à une telle escalade cela serait le mécontentement latent de la population, mais aussi les tensions et conflits se déroulant tout au long de la ligne de contact avec l’armée azerbaïdjanaise. Cette dernière est parvenue à reprendre 8 km carrés de territoire dans le nord et sud du Haut-Karabagh, mettant ainsi en évidence les carences structurelles de l’armée arménienne.
Dès sa prise de fonction, le nouveau premier ministre a assuré qu’il fera le possible pour relancer l’économie du pays et annonce qu’il présentera un plan de développement en deux étapes. Ses déclarations sont accueillies avec scepticisme par la plupart des analystes, lesquels soulignent l’état catastrophique dans lequel se trouve le pays.
Avec une dette publique de 4,6 milliard de dollars, une corruption importante, une émigration de masse qui est en train de saigner le pays et le mécontentement d’une population qui manque de figures d’opposition dans lesquelles elle pourrait s’identifier, peu d’arméniens croient encore aux rassurantes paroles du nouveau premier ministre Karen Karapetyan, et en sa volonté d’apporter un réel changement dans le pays.